Au terme d’une carrière hantée par ledésir d’opéra, Robert Schumann (1810-1856) aborda Manfred pendant son ultime époque créatrice, six ans avant soninternement. Pour la génération romantique, la poésie s’incarnait en Lord Byron (1788-1824)qui avait fait de sa vie la substance de son œuvre. Lord Byron a 29 ans lorsqueparaît Manfred en 1817. Dans l’Europede la culture, la célébrité de sa poésie n’égale que sa sulfureuse réputation.L’œuvre connaît le succès, elle inspire immédiatement les poètes, commeLamartine âgé de 27 ans ou le jeune Hugo de 15 ans.
En 1824, la mort prématurée de Byron faitde ce poète voyageur et engagé un héros. Ses créations offrent lemoyen de décliner dans tous les arts un propos sur la place de l’homme modernedans le monde. Vont s’en inspirer des générations de peintres – dontToulouse-Lautrec, Delacroix et Turner – et de musiciens, à commencer par HectorBerlioz en 1834 avec sa symphonie Harold en Italie. Robert Schumann est lepremier compositeur à s’emparer de Manfred,il veut composer sur ce poème un théâtre de l’imaginaire. Véritableappropriation, son remaniement doit, dans son esprit, favoriser unereprésentation scénique mais d’une forme nouvelle, non opératique.
Manfred,de Schumann à Byron
Pour la scénographe Sandra Pocceschi, le personnage de Manfredpeut être considéré comme un double de Byron et de Schumann : « Si les échos biographiques et leurcorollaire cathartique sont dans les deux cas indiscutables – Byron exilé aprèsun divorce qui a rendu publique sa liaison avec sa demi-sœur Augusta Leigh ;Schumann au seuil de la folie, rescapé de plusieurs tentatives de suicide etdéjà en proie aux hallucinations acoustiques – le mode de projection/identificationdes deux auteurs avec le personnage semble différer : Schumann semble encomplète adhérence avec le Weltschmerz du héros romantique, il s’y projettecorps et âme, sa musique en épouse sincèrement les souffrances ; Byron enrevanche, n’y adhère qu’à moitié, et par le biais d’une écriture non exempted’ironie, toujours à la limite de la caricature, met à mal le paradigme duhéros romantique comme pour mieux l’exorciser. Il y a donc au cœur de l’ouvrageune tension et une contradiction qu’il s’agit, sans parti-pris, de valoriser. »Dans sa note d’intention, la scénographe s’interroge sur la place à proposer àManfred, ce « héros » antipathique : « Aristocrate inutile, narcissique, nombriliste, orgueilleux,complaisant, et quelque peu mythomane, Manfred ne génère aucune sympathie. (…) Commentmettre en scène un personnage qui peine à nous émouvoir ? Faut-il renoncer à cequ’il touche le spectateur ? »
Unpersonnage romantique
Lasouffrance de Manfred,rappelle Sandra Pocceschi, est liée à lamort d’Astarté, le double féminin idéalisé, et que l’on devine être sa sœur.Les circonstances de son décès ne sont pas élucidées, mais l’on suppose à midire qu’il s’agit d’un suicide, sanglant, en lien avec un amour défendu.Manfred se rend – à tort ou à raison – responsable de la perte d’Astarté, maissa culpabilité quant au fait d’avoir enfreint le tabou de l’inceste estdiscutable. Cet inceste jamais nommé est évoqué. (…) S’agit-il d’une volontéconsciente de la part de Byron de laisser au lecteur le soin de prendre encharge le discours, d’en combler les manques, de l’amener à s’interroger sur la connaissance, la croyance, lavérité, et le libre-arbitre ? » Sur la scène de l’Opéra Comédie,Manfred évoluera dans un périmètre circonscrit, délimité par un cercle tracésur le sol du plateau au début de la représentation. Manfred est doncessentiellement « seul en scène. Ce choix de la scénographie permettra aupersonnage principal de convoquer physiquement des personnages du passé : « Astarté, sa jumelle, adolescente, apparitionne faisant pas corps avec sa voix, et un double de lui-même, plus jeune. Lesinterventions des esprits sont traitées sur le mode de l’hallucinationacoustique. (…) Les bruitages valorisent la dimension délirante du personnage. »
Robert Schumann fait partie de la premièregénération des romantiques, avec Chopin et Mendelssohn. Issu d’une familled’érudits, il réhabilite la poésie en musique qu’il soutient par une écriturepianistique originale, très symphonique, nécessitant une virtuosité accomplieet de grands écarts de mains de la part des interprètes. Son œuvre tardive, Manfred, n’est ni une pièce de théâtre,ni un opéra. Manfred reste une œuvreoriginale et presque inclassable dans la production lyrique occidentale, àdécouvrir à l’Opéra Comédie pour quatre représentations, du mercredi 29novembre au dimanche 3 décembre.
Manfredde Robert Schumann
Poème dramatique entrois parties de Lord Byron
Opéra Comédie
11 Boulevard Victor Hugo – Montpellier
David Niemann direction musicale
Sandra Pocceschi et Giacomo Strada conceptionscénique
Julien Testard Manfred, rôle parlé, Christine Craipeau Génie des airs, Sherri Sassoon-Deschler Génie des eaux, Jean-Philippe Elleouet-Molina Génie de la terre, Ernesto Fuentes Génie du feu, Laurent Sérou, Xin Wang, Jean-Claude Pacullet Albert Alcaraz Quatre esprits, VéroniqueParize, Charles Alvez da Cruz unChasseur.
Chœur Opéra national Montpellier Occitanie
Noëlle Gény chef de chœur
Orchestre national Montpellier Occitanie
Coproduction Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Philharmonie de Paris et Orchestre de chambrede Paris
Mercredi29 novembre à 20 heures, vendredi 1er décembre à 20 heures, samedi 2 décembre à20 heures, dimanche 3 décembre à 15 heures
Tarifs :15 à 50 euros
Réservation – Billetterie Opéra Comédie:+ 33 (0) 4 67 60 19 99
www.opera-orchestre-montpellier.fr
Rencontreavec les artistes à l’issue de la représentation du dimanche 3 décembre 2017
Garderiemusicale le dimanche 3 décembre 2017
Pourapprofondir : Samedi 25 novembre à 14 heures, à l’Opéra Comédie, répétition générale de Manfred ouverte au public ; Conférence de Corinne Schneider autour de Manfred samedi 25 novembre à 18h30 à la Salle Molière – Entrée libre dans la limite des places disponibles.
Autre conférence samedi 25 novembre à 11 heures à la Salle Molière : Dubaroque au 20ème, les visages de l’orchestre – Entrée libre dans la limite des places disponibles.
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