Vous nous recevez dans votre atelier, quartier Sainte-Anne à Montpellier. Vous avez exercé comme chirurgien, professeur à la faculté de médecine, chef de service. Vos études, vos activités vous ont éloigné de la peinture pendant de nombreuses années alors que vous aviez obtenu un Premier Prix de dessin à l’âge de seize ans. De quelle façon avez-vous pu rester en lien avec la peinture, l’art, pendant toutes ces décennies ?
Benoît Galifer : Je peignais quand j’avais quatorze, quinze ans, au contact d’un peintre local, très connu dans ma ville natale qui est Arles, qui s’appelait Théo Rigaud (1915-1985). Et c’est lui qui m’avait transmis ce goût de la peinture, et qui m’avait fait imaginer que je puisse faire une carrière dans les Beaux-Arts. Et puis, ça n’a pas été possible pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de s’attarder ici. J’ai épousé les études médicales. Et effectivement, ce long parcours qui m’a conduit d’étudiant en médecine jusqu’à professeur de chirurgie pédiatrique et chef de service m’a éloigné de la peinture. Il y avait une telle exigence d’exclusivité, de disponibilité, d’excellence que même de façon intermittente, on ne pouvait pas faire de la peinture sérieusement. Mais j’ai gardé le contact avec l’art par la lecture d’articles, de revues, la fréquentation d’expositions des grands musées du monde, puisque mon métier m’a permis de voyager un peu partout. Et je pense que dans ma tête, j’ai continué à peindre.
Vous vous consacrez désormais à la peinture, que vous apporte cet art ?
Benoît Galifer : Il m’apporte bien entendu beaucoup de plénitude et de doutes en même temps. Mais il rend vivant un désir de peinture que j’ai enfoui dans mon subconscient pendant cinquante ans.
Est-ce que votre formation de médecin permet un autre regard sur votre peinture ?
Benoît Galifer : Je crois que c’est important de faire un parallèle entre la chirurgie que j’ai exercée et la peinture que j’essaie de faire maintenant. La chirurgie m’a structuré dans le sens contraire de ce que je dois vivre maintenant. Pour moi, la définition de l’art c’est la création, la création c’est la liberté, la création c’est accepter le risque de l’échec. Ce qui est totalement impossible dans le cadre d’une chirurgie où l’on est bardé de principes de précaution, de responsabilités de moyens et de résultats. Ce que m’a apporté la chirurgie en revanche, c’est je crois la rigueur, l’idée qu’il faut finir ce que l’on a débuté. Je ne m’arrêtais pas de faire une intervention au milieu, parce que c’était difficile. Quelle que soit la difficulté, je m’acharne sur un tableau. Je suis incapable de faire deux tableaux à la fois, comme j’étais incapable de faire deux interventions à la fois. Je suis obligé de me déstructurer de tout ce qui a fait ma formation de chirurgien pour peindre.Car il me faut retrouver la liberté, l’idée de faire n’importe quoi face à une toile blanche. Voilà mais ça m’apporte quelque chose en creux finalement.
Lors d’une précédente visite de votre atelier, vous m’aviez dit que vous essayez différentes techniques face à la toile. Par exemple, la cuillère.
Benoît Galifer : Oui. Étant totalement vierge de formation académique, je ne me refuse rien, j’utilise des instruments qui sont détournés : une cuillère,des truelles, des spatules. Et petit à petit avec des appositions de couches de couleurs, j’arrive à dégager le thème d’un tableau. J’associe des couleurs qui peut-être ne devraient pas être associées, je tente tout sur une toile, je n’ai aucun souci, je n’ai pas de responsabilité de résultat, c’est ça qui est très important.
Est-ce que le dessin est présent dans vos toiles ? Vous qui aviez eu un Premier Prix de dessin.
Benoît Galifer : Vous avez raison (rires), paradoxalement, il n’est plus présent dans mes toiles. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas cultivé le dessin en tant que chirurgien et j’avoue maintenant ne plus savoir bien dessiner. Et de toute façon, je peins un peu dans l’urgence. Parce que j’ai un âge certain, je n’ai pas vingt ou trente ans de peinture devant moi. Et je veux tout de suite arriver à la toile, de telle sorte que je ne fais pas d’esquisse. Peut-être que j’y reviendrais si je viens à faire du nu, parce que ça nécessite des dessins préalables que je pourrais peut-être faire car j’ai une bonne connaissance du corps humain, mais enfin ce n’est pas un thème de ma peinture. Ma peinture actuellement, c’est plutôt des paysages urbains, des paysages marins ou de terre.
Éprouvez-vous du doute face à vos toiles ?
Benoît Galifer : Alors en permanence, et je n’ai pas honte de le dire. Même si on en éprouvait en tant que chirurgien, ça il ne fallait pas le dire bien entendu parce que de temps en temps, on partait pour des interventions et elles étaient excessivement dangereuses pour l’enfant, et on n’allait pas dire aux familles de telles choses. Mais face à une peinture, oui je suis dans le doute.
Dans votre atelier, il y a votre première toile.
Benoît Galifer : Cette toile que nous voyons maintenant date de novembre 2012. Je l’ai faite cinquante ans après avoir raccroché les pinceaux de gouache, quand j’ai commencé médecine. C’est une nature morte… d’un peintre qui a certainement maturé dans sa tête.
C’est un peintre qui a peint dans sa tête pendant cinquante ans.
Benoît Galifer : Les dix ou vingt dernières années de ma profession, je me disais toujours : « Faudra se remettre à peindre. » Et puis j’ai rencontré Jean Leccia qui m’a fait venir dans son atelier et qui m’a fait faire quelques exercices et je lui dois ce redémarrage.
La ville comme thématique est très présente dans vos toiles. Ce sont souvent des villes avec une dimension verticale, très forte. Des villes qui font penser aux villes…
Benoît Galifer : Américaines. J’ai commencé par faire des paysages. Je ne suis pas un abstrait mais j’ai été très influencé par Rothko. Cette interface horizontale qui constitue un horizon, je l’ai transformée en interface entre les éléments – l’air, l’eau, la terre, le feu. Et donc, il y a toute une période de paysages horizontaux. Et puis à un moment donné, j’ai eu envie de faire des tableaux plutôt dans la verticalité et comme j’ai vécu au Canada et aux États-Unis, ça a ressurgi. Ces villes américaines sont très photogéniques.
Ici, c’est la campagne qui est représentée, la campagne proche de Montpellier ?
Benoît Galifer : Oui, c’est un vignoble du côté de Lansargues. C’est un petit peu difficile de se heurter sur des toiles qui font deux mètres de long sur un mètre trente ou quarante de haut. J’ai fait la même vue aux quatre saisons différentes en modifiant les tonalités de peinture.
Celle-ci avec un ciel rose représente le printemps ?
Benoît Galifer : C’est le printemps.
C’est psychédélique.
Benoît Galifer : C’est pas tout à fait rose, j’ai voulu indiquer une explosion de couleurs pour différencier de l’été. Les quatre toiles seront présentées côte à côte. Ça fait quand même huit mètres linéaire et sur un montage d’ordinateur, on voit que ça fonctionne pas mal.
C’est une œuvre intéressante.
Benoît Galifer : Oui, parce que de toute façon, on fait des progrès avec chaque peinture. Je m’estime être un « vieux-jeune peintre », puisque ça fait trois ans et demi que je peins. Ma peinture, elle est à cheval entre le figuratif et l’abstrait. Disons que j’essaie de faire une peinture que je qualifierais d’onirique.
Il y a aussi une vision floue.
Benoît Galifer : Oui et c’est peut-être la traduction du défaut de dessin que j’ai maintenant, mais ça fait partie de mon onirisme. Je laisse suffisamment d’oxygène à celui qui va regarder la toile pour qu’il puisse imaginer autre chose que ce que j’ai peint. C’est ce qui m’intéresse dans la peinture, je ne veux pas imposer à quelqu’un un sujet.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Fatma Alilate
Blog consacré à Benoît Galifer, artiste-peintre : www.bengali34.blogspot.com
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