« Lettere Amorose 1999-2018 » de Raimund Hoghe : le drame des migrants
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« Lettere Amorose 1999-2018 » de Raimund Hoghe : le drame des migrants

Excellences, Messieurs les membres et responsables d’Europe,

Nous avons l’honorable plaisir et la grande confiance de vous écrire cette lettre pour vous parler de l’objectif de notre voyage et de la souffrance de nous, les enfants et jeunes de l’Afrique. Mais tout d’abord, nous vous présentons les salutations les plus délicieuses, adorables et respectées dans la vie. (…) Messieurs les membres et responsables d’Europe, c’est de votre solidarité et votre gentillesse que nous vous crions au secours en Afrique. Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique, nous avons des problèmes et quelques manques au niveau des droits de l’enfant. Au niveau des problèmes, nous avons la guerre, la maladie, le manque de nourriture. (…) Donc, si vous voyez que nous nous sacrifions et exposons notre vie, c’est parce qu’on a besoin de vous pour lutter contre la pauvreté et pour mettre fin à la guerre en Afrique.

Extrait de la lettre de Yaguine Koita et Fodé Tounkara

En 1999, le chorégraphe allemand Raimund Hoghe (né en 1949) crée à Bruxelles Lettere amorose. Yaguine Koita et Fodé Tounkara, âgés de quatorze et quinze ans, ont été retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion à leur arrivée en Belgique, en provenance de Guinée. Parmi leurs affaires personnelles – sacs plastique avec papiers d’identité – ils avaient une lettre, un appel au secours pour sauver l’Afrique et la jeunesse de ce continent. Le drame des migrants reste d’actualité, et cette lettre pourrait être écrite aujourd’hui. La pièce initiale est devenue Lettere amorose 1999 – 2018, elle a été proposée dans le cadre de la Saison Montpellier Danse, le mardi 13 février.

Une pièce engagée

Le plateau est dépouillé. Une chanson de Jacques Brel accompagne Raimund Hoghe. Le petit homme en noir à la silhouette frêle fait des petits pas. Cinq lettres vont constituer différents tableaux. Chansons à texte, voix d’Elly Ameling, musique classique, il marche, ouvre les bras, partage des moments de poésie. La lettre de Yaguine Koita et Fodé Tounkara est lue à son tour, en français, c’est une lecture bouleversante. Les deux adolescents voudraient d’autres conditions de vie, et ils demandent aussi l’accès aux études : « Nous avons trop d’écoles mais un grand manque d’éducation et d’enseignement. Sauf dans les écoles privées où l’on peut avoir une bonne éducation et un bon enseignement, mais il faut une forte somme d’argent. Or, nos parents sont pauvres et il leur faut nous nourrir. (…) Néanmoins, nous voulons étudier, et nous vous demandons de nous aider à étudier pour être comme vous en Afrique. » Raimund Hoghe cherche l’équilibre, il pourrait être un oiseau : un pied au sol, immobile dans son élan. Une voix off, incarnée par Jean-Louis Trintignant, s’adresse au Président et dénonce la guerre. Raimund Hoghe par la lenteur offre une danse intériorisée ; les chansons font écho aux lettres et aux rituels du danseur-chorégraphe. Une dernière chanson de Jacques Brel appelle à la fraternité : « Toi si tu étais le Bon Dieu. Tu ne serais pas économe de ciel bleu. Mais tu n’es pas le Bon Dieu. Toi tu es beaucoup mieux. Tu es un homme. » Raimund Hoghe dresse un autel avec un bouquet de marguerites. On entend la mer, de plus en plus fort, le plateau s’assombrit, il est allongé, couvert d’une couverture, il est cet enfant syrien retrouvé sur une plage.

Raimund Hoghe, révolté par la souffrance

Par Lettere Amorose 1999-2018, nous sommes dans un univers fragile et délicat. Le chorégraphe-danseur lutte contre la souffrance qui lui est insupportable, il rend poignant le drame des migrants en nous permettant d’écouter leurs voix. Raimund Hoghe a choisi de « jeter son corps dans la bataille ». Il a commencé son parcours comme journaliste au Zeit en écrivant des portraits de personnalités. Pendant la décennie 1980, il est le dramaturge de la célèbre chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009). Cette expérience et les portraits qu’il a faits de danseurs l’ont amené à la danse. De son corps difforme, il fait une force ; il a lui-même combattu les préjugés et refusé toute forme de fatalisme. Il est d’abord un homme révolté par les injustices et il se préoccupe des plus vulnérables : les étrangers, les exilés, les pauvres, les gens malades… Par la danse, il abat les frontières et permet de faire avancer dans la compréhension de l’autre. Depuis 1999, il vient régulièrement au Festival Montpellier Danse. Il y a rendu un bel hommage à Dominique Bagouet (1951-1992), à la Cour de l’Agora, qui a marqué le public montpelliérain. Ses pièces sont intemporelles. L’artiste est très sensible à la beauté dans laquelle il puise pour créer et dénoncer : « Dans mes pièces j’utilise des musiques que je trouve belles, des matériaux que je trouve beaux. Je les mets tout contre mon corps que généralement on ne trouve pas beau. »

 

On ne peut rester indifférent à une pièce de Raimund Hoghe, à sa générosité. Il permet de faire progresser et d’ouvrir notre regard. Raimund Hoghe s’appuie sur le rôle fédérateur de la musique, choisie avec pertinence. Après le journalisme, il a également écrit des livres. Mais il a choisi de dépasser les mots et de proposer son corps sur la scène dans le domaine exigeant de la danse. Une autre de ses pièces, La Valse, est aussi à l’affiche cette semaine.

Fatma Alilate

Lettere amorose 1999-2018

hTh humainTROP humain – Domaine de Grammont

Avenue Albert Einstein – Montpellier

Conception, chorégraphie, danse et scénographie : Raimund Hoghe

Collaboration artistique : Luca Giacomo Schulte

Lumières : Raimund Hoghe, Amaury Seval

Musiques et textes interprétées par : Elly Ameling, Cathy Berberian, Jacques Brel, Melina Mercouri, Chavela Vargas, Sophia Loren, Victoria de Los Angeles, Peggy Lee, Marion Ballester et Jean-Louis Trintignant

Mardi 13 février 2018

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